Quand l’histoire ressert des plats… froids

Il y a 79 ans le bruit des canons et la fureur des tueries cessaient enfin sur notre Europe.

La paix revenait, il fallait d’abord reconstruire tous les pays ayant connu un désastre humain sans précédent.

Nous pensions en avoir terminé avec les guerres en Europe et l’équilibre des armements nucléaires permettaient de pacifier notre continent.

La découverte des horreurs du nazisme et particulièrement le génocide des juifs,  entrainait la punition des auteurs de ces abominations. Les malheurs laissés à notre pays par l’occupant, les enfants déportés, les fusillés, les civils brûlés comme à Oradour restaient dans notre mémoire nationale. Sans oublier les Alsaciens-Lorrains auxquels on interdit de parler le français avant de les chasser de leur maison ou de les incorporer de force dans l’armée allemande sous peine de mort !

 Du fait d’une reconfiguration géopolitique et d’une nouvelle donne, notre ennemi d’hier devenait notre amie, voire notre meilleure amie et aujourd’hui, notre alliée d’hier contre l’horreur deviendrait notre ennemie ? Cependant il était convenu formellement par tous, de Brest à l’Oural, que les frontières issues de ce conflit ne devaient plus jamais et en aucun cas être modifiées.

Les évènements actuels ne doivent pas réviser l’Histoire et le passé. Les chiffres sont parlants :

La II -ème Guerre Mondiale dont nous commémorons en ce jour la capitulation allemande a couté aux Français la mort de 250 000 militaires et de 350 000 civils, dont 76 000 des bombardements alliés. Elle a couté aux américains 460 000 morts militaires sur les deux fronts, celui de l’Europe et du pacifique et 1500 Civils soit au total 0,2 % de la population parce que le territoire américain depuis la guerre de sécession n’a jamais connu de conflit sur son sol.

En revanche, elle a couté à l’Union soviétique 21 millions de morts civils et militaires, dont 17 millions soit 10% de la population – 1 homme sur 10 !- principalement des Russes, des Biélorusses –, et une partie des Ukrainiens de l’Est car hélas, une autre partie, celle des nationalistes a fourni à l’armée nazie 250 000  supplétifs tant pour garder les camps d’extermination, je pense au sinistre Demaniuk – réfugié un temps aux États-Unis, à qui les historiens attribuent la mort de près de 100 000 juifs mais aussi à la tristement célèbre division ukrainienne SS Galicie dont dernièrement un de ses membres, caché depuis 1945 au Canada a été ovationné au parlement de ce pays…

17 M de morts, le chiffre est parlant et, on peut affirmer que ce sont bien ces 17 M de morts qui ont permis d’user jour après jour puis de détruire la plus puissante machine de guerre que l’Europe n’ait jamais connue. C’est à ces 600 000 français, ces 460 000 américains et à ces 17 M de russes que nous devons notre liberté et de ne pas avoir été gouverné par Berlin ! Les Oradour se comptent par dizaines en Russie et en Biélorussie  et font partie de leur mémoire!

Aujourd’hui on nous dit que la guerre viendrait de revenir sur notre terre Européenne ?? C’est oublier gravement qu’en 1991 une guerre d’une violence inouïe se déclenchait en Yougoslavie à moins de 1000 km de notre frontière !  Ce pays, créé en 1918 regroupait des habitants de diverses communautés – latines, slaves, catholiques, orthodoxes et musulmanes, mais dont le seul lien consistait en une langue commune, le serbo-croate. Ce conflit ravageait la Slovénie, la Croatie puis Bosnie ; Une guerre fratricide qui peut nous interroger sur le multiculturel entrainait la mort de dizaines de milliers de morts, dont principalement des civils de part et d’autre qui en furent les premières victimes.

Cette guerre entraina le déplacement de 2 M de personnes qui perdent tout, leurs maisons où ils vivaient depuis plusieurs générations, leur passé, leur famille, leur présent.

C’est omettre également qu’en 1999 l’OTAN, organisation à laquelle nous appartenons déclenchait, sans accord de l’ONU, une offensive contre la Serbie et modifiait, en créant un nouvel État par la force des armes, les frontières issues de 1945, ouvrant implicitement la porte à d’autres modifications qui viendront ultérieurement et dont on voit aujourd’hui les conséquences dramatiques pour tous les Européens que nous sommes. Nous avons pensé, parce que nous étions les plus forts, que la force créait le droit, nous en voyons aujourd’hui les effets.

L’Histoire avec un grand H ne doit pas être modifiée pour justifier quoique ce soit et les horreurs du conflit de 1939/1945 ne doivent pas être oubliées ce qui serait un profond mépris pour tous ces gens morts soit dans les combats, soit fusillés, soit en captivité, soit dans les camps d’extermination, soit sous les bombes des avions et qu’ils  ne soient pas morts pour rien !

Le triptyque à l’origine de toutes les tragédies telle celle dont nous célébrons ce jour la fin, mais aussi celles à venir hélas possibles est toujours l’ignorance, l’oubli et le mépris.

L’ignorance des leçons de l’histoire, tel l’engrenage qui conduisit à la guerre que ce soit en 1870, 1914 ou 1939, l’oubli de ces leçons qu’on nous a pourtant enseignées à l’école et le mépris envers le peuple des petites gens dont la vie est le seul bien sur terre. Hélas, on n’apprend dans nos universités comment générer l’argent, on n’y apprend plus l’histoire.

À l’heure où j’entends tous les jours les mots guerres, batailles, troupes au sol, canons, avions, missiles, tous ces mots dans la bouche de gens qui n’ont  pas fait de service militaire et dont les parents n’ont même pas connu la guerre,  ma crainte est légitime pour nos enfants et petits-enfants. Non la guerre n’est pas un jeu vidéo, c’est l’horreur absolue, il n’existe pas de guerre propre, elles sont toujours sales et pourtant je n’entends jamais dans leurs bouches le mot paix qui semble ne pas faire partie de leur vocabulaire.

Permettez-moi pour conclure de vous citer cette phrase de Ceija Stojka,  citoyenne autrichienne d’origine Rom, déportée  à l’âge de 10 ans, rescapée des camps de la mort : « Si le monde ne change pas maintenant, si le monde (…) ne construit pas la paix – une paix véritable – de sorte que mes arrière-petits-enfants aient une chance de vivre dans ce monde, alors je suis incapable d’expliquer pourquoi j’ai survécu à  Auschwitz, Ravensbrück et Bergen-Belsen ».

Philippe MULSANT