Dossier Le peuple : quand le passé ressurgit…

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« Le seul peuple qui ait une armée sérieuse, est celui qui ne compte pour rien en Europe. Ce phénomène ne s’explique pas suffisamment par la faiblesse d’un ministère, d’un gouvernement ; il tient malheureusement à une cause plus générale, au déclin de la classe gouvernante, classe très nouvelle et très usée. Je parle de la bourgeoisie. » Michelet. Le Peuple. 1846

Ces lignes nous viennent du passé. Presque 180 ans. Et pourtant… Elles font écho à notre actualité contemporaine. Bien sûr, il serait erroné de croire que l’histoire ressert les plats, que nous pourrions raisonner par analogie, par amalgame. Ce serait aller un peu vite en besogne même si l’analyse faite par Michelet sur la situation sociale de son époque, pointue, argumentée s’applique sans nul doute à ce que nous connaissons aujourd’hui.

Sont évoquées dans cet ouvrage, les différentes classes sociales au travers de leurs servitudes et le moins que l’on puisse dire est que Michelet a la dent dure contre certaines d’entre elles. Les marchands ne sont que des menteurs (bonimenteurs ?), oisifs, ne produisant rien et s’acoquinant avec les fabricants pour mieux vendre leurs produits. Les ouvriers sont devenus les nouveaux serfs, exploités par les machines, sans aucune imagination ou créativité, où la répétition mécanique de leur tâche est proportionnelle au vide abyssal de leur pensée.

Puis c’est au tour des bourgeois. Sans reprendre la chanson de Brel, il est un fait établi que ceux-ci sont rarement appréciés au sein de la société. Ils ont réussi (tout du moins financièrement), ne s’en cachent pas et se placent au sommet de la hiérarchie sociale.

Par quel truchement intellectuel Michelet arrive t il à établir un lien entre les bourgeois, leur réussite insolente et la décrépitude de l’armée ?

Il n’est d’armée forte que par la volonté forte de celui qui l’anime. Or, en l’espèce, déjà à cette époque, les yeux, les pensées se sont détournés de l’armée, vieux bastion moral inutile. Inutile car coûteux. Inutile car mauvais pour les affaires et donc pour les finances privées. Si la révolution française de 1789 s’est traduite par un changement de caste, elle a vu arriver une classe sociale dont le seul appétit est l’argent. Mammon n’est pas loin.

Pour reprendre la phrase d’Alain, « Corrompre ce n’est qu’enrichir ». L’argent corrompt, c’est bien connu. Les ministères de l’époque sont gangrenés par l’argent. Le pouvoir ne s’exerce déjà plus dans l’intérêt du bien commun mais pour mieux assurer la position dominante d’une classe sociale qui ne veut plus entendre parler de guerre. L’épopée Napoléonienne a marqué les esprits. Un territoire dont les frontières sont revenues à celles de 1789 avec une population ayant perdu entre 800 000 et 1 000 000 d’hommes. Quant au bilan financier, il est exécrable. Sans compter le retard pris par notre industrie.

La bourgeoisie dont parle Michelet s’est effondrée sur elle-même. Elle a perdu toute envie, toute ambition. Le fil de la réussite se perd dans les méandres d’un abandon civilisationnel. Un ministre contemporain de Michelet s’exclame : « La France sera la première des puissances secondaires. » Déjà…

Cette bourgeoisie-là a peur. Selon Michelet, les gouvernements successifs ont spéculé sur « cette peur qui n’est autre qu’une mort morale ». La peur engendre le repli sur soi ; on s’enferme, on se barricade.

Par voie de conséquence, plus de contact avec le peuple. Au fur et à mesure de son élévation sociale, le bourgeois s’est perdu lui-même : « Paysan, il eut les mœurs sévères, la sobriété et l’épargne ; ouvrier, il fut bon camarade et secourable aux siens ; fabricant, il était actif, énergique, il avait son patriotisme industriel, qui faisait effort contre l’industrie étrangère. Tout cela, il l’a laissé en chemin, et rien n’est venu à la place ; sa maison s’est remplie, son coffre est plein, son âme n’est que vide. »

Alors quelle leçon tirer aujourd’hui de cette analyse clairvoyante ?

L’élection de Macron en 2017 est l’avènement de cette société civile bourgeoise rompue à la recherche de profits privés et dont les motivations sont très fortement éloignées du Bien Commun.

Le parcours personnel des membres du gouvernement, leur jeunesse illustrent leur « politique » de tableur excel. Le nouveau monde promis par le président Macron est un monde à l’échelle de la planète, privilégiant la recherche du profit immédiat au détriment de la vision de long terme. Keynes nous enseigne que dans le long terme, nous sommes tous morts. Ils s’approprient cette devise pour mieux justifier leurs actions court-termistes.

Ce monde en ébullition, ils le veulent en marche. Sans bien définir où cela nous mène. Qu’importe ! Les mandats ne durent que 5 ans et il sera toujours temps pour eux de valoriser leur carnet d’adresse où se mêleront sans distinction intérêts publics et privés. Le tout sans état d’âme. Sans âme.

De la même façon que nos trublions ministériels se sont éloignés du peuple ce qui est un comble puisqu’ils se veulent issus de la société civile, le pouvoir s’est affaibli, affadi. L’argent n’a pas de maître. Le temps de la corruption est venu et ils vendent la France au plus offrant. Pour cela, l’Europe est un terrain de jeu idéal. Les décisions sont prises en dehors de notre territorialité donc en dehors de leur responsabilité.

Le conflit ukrainien nous montre tous les jours à quel point Michelet a raison. Notre pouvoir désormais inféodé à l’Europe et aux Etats Unis n’est plus que l’ombre de lui-même. Aucune volonté politique pour redresser le pays. Aucune volonté pour protéger la France. Notre armée, pourtant la première d’Europe, ne peut soutenir un conflit de haute intensité. Pire, elle est dépouillée jour après jour. Si notre armée est le reflet de notre pouvoir politique notamment à l’international, nous ne pouvons que constater sa déliquescence…

Alors oui malgré l’écart temporel qui nous sépare de Michelet, nous ne pouvons qu’être troublé par ce bégaiement de l’histoire et se rappeler qu’en dépit de ce que nous subissons, 1846 est proche de 1848…

5 commentaires sur “Dossier Le peuple : quand le passé ressurgit…

  1. Quel merveilleux article!! Qui donne, d’une part, l’envie de lire Michelet, (j’avoue!) et d’autre part constitue une analyse plus qu’exacte de notre situation.
    C’est précis, bien écrit, et malheureusement pas très optimiste! Vers quoi nous mènera cette situation délétère? la Révolution? l’avènement d’un dirigeant qui transcenderait les scissions par delà les classes dirigeantes qui s’accrochent, s’accrochent, s’accrochent? Avec une mauvaise foi qui leur sert de raison, et dont l’essentiel moteur est l’argent. A 150 ans de distance, on constate, hélas que l’humain ne changera pas. Et nos français contemporains méritent toujours la dent dure d’un Michelet.

    1. Heureux que cet article vous ait plus. A diffuser sans modération.
      Merci encore pour votre soutien

    2. Vous écrivez : « A 150 ans de distance, on constate, hélas que l’humain ne changera pas. »
      Ne mélangez pas le passé (l’humain n’a pas changé) et le futur ( l’humain ne changera pas).
      Ce sont toujours les minorités qui font l’histoire. Ce qui nous manque (pour que le peuple change), c’est une minorité agissante, disciplinée, formée, motivée et consciente de ce qu’est le mondialisme.
      Ce pourrait être Place d’Armes.

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